Votre entreprise de BTP accumule beaucoup de retard, son personnel a déserté le chantier et vous n’avez plus de réponse de sa part ? Quelles sont les obligations de l’entreprise ? Quels sont vos recours ? Dans cet article je vous explique tout et je vous donnes des solutions concrètes..
COMMENT CELA ARRIVE-T-IL ?
Monsieur et Madame X. ont acheté un immeuble de 300 m2 composé de deux T2 et deux T3 fortement délabré pour un prix de 89.000 €. Ils ont confié à l’entreprise Y un chantier de rénovation complète du bâtiment pour un coût de 175.000 €, afin de louer l’ensemble dès la fin du chantier, dans le cadre d’un investissement locatif meublé.
L’entreprise Y s’est engagée à la signature du devis à démarrer le chantier le 7 mars 2019 et à réaliser l’opération en 3 mois. Le problème, c’est que l’entreprise ne s’est engagée que lors de discussions, rien n’a été écrit sur le devis ni dans les mails échangés par la suite. L’entreprise a ensuite accumulé du retard, ses équipes étaient souvent absentes, elle ne répondait que rarement aux appels et courriels de Monsieur et Madame X, lesquels se sont donc retrouvés avec un chantier en état d’abandon.
COMMENT CETTE SITUATION A-T-ELLE PU SE PRODUIRE ?
En règle générale, cette situation survient dans trois hypothèses :
- L’entreprise est au bord de la faillite.
- L’entreprise est submergée par d’autres chantiers et ne parvient pas à faire face à toutes ses commandes.
- Un conflit vous oppose à l’entreprise. Cela peut concerner le paiement de ses acomptes, les ouvrages à réaliser, les travaux supplémentaires…
QUELS SONT VOS RECOURS ?
Si l’entreprise est en difficulté financière, il n’y a malheureusement pas beaucoup de solutions, vous aurez intérêt à arrêter de régler les factures émises dans l’attente d’une réponse du mandataire qui sera désigné par le Tribunal de Commerce pour liquider la société. Vous devrez demander la résolution de votre contrat auprès de ce mandataire et la restitution d’un éventuel trop-perçu, mais votre créance passera derrière celle d’autres créanciers dits privilégiés. Vous devrez ensuite confier l’achèvement du chantier à une autre entreprise.
ET SI L’ENTREPRISE N’EST PAS EN DIFFICULTE FINANCIERE ?
Le droit de la consommation oblige tout prestataire de service à préciser, dans son devis, lorsque le prix proposé est supérieur à 500 €, la date limite à laquelle il s’engage à exécuter la prestation (articles L.114-1 et L.216-1 du Code de la Consommation).
- Le devis doit donc mentionner :
- Une date de démarrage du chantier
- Un délai de réalisation.
Vous pouvez demander à l’entreprise de le mentionner sur le devis que vous signez. Si elle refuse, par précaution, rappelez-lui ses engagements par un mail après signature du devis. Envoyez votre mail avec accusé réception, et conserverez cet envoi comme preuve. L’idéal est de mentionner au marché de travaux des pénalités de retard mais elles sont rarement acceptées par les entreprises de BTP, qui ont le droit de les refuser.
DANS QUEL DÉLAI L’ENTREPRISE DOIT-ELLE REALISER MON CHANTIER ?
A défaut de délai stipulé par écrit, les Tribunaux considèrent que l’entreprise est tenue par un « délai raisonnable », qui est déterminé par le Juge lors de l’action judiciaire engagée par le maître d’ouvrage. Ce délai dépend de l’ampleur et de la nature des travaux à réaliser mais également, des contraintes auxquelles l’entreprise est confrontée pendant l’exécution du chantier. Le Juge tiendra compte par exemple de conditions météorologiques défavorables. Ainsi, une entreprise pourra être autorisée à suspendre, le temps d’une longue période de froid en hiver, avec températures négatives, un chantier de ravalement car la pose des enduits extérieurs est interdite en dessous de 5°. En moyenne, le délai raisonnable est estimé par les Juges entre 1 et 5 mois.
SI L’ENTREPRISE NE RESPECTE PAS LE DELAI DE REALISATION DU CHANTIER ?
Si l’entreprise ne respecte pas ses engagements, vous disposez de deux solutions. La première consiste à continuer le chantier avec cette entreprise, la seconde, à vous en séparer. Dans ces deux hypothèses, des règles strictes sont fixées par le Code Civil, il est donc toujours préférable d’être conseillé par un avocat spécialisé pour éviter de commettre des erreurs qui vous feraient perdre du temps et des frais.
Première solution: Contraindre l’entreprise à achever le chantier (article 1221 du Code Civil).
Vous pouvez saisir le Tribunal afin de faire condamner l’entreprise à achever le chantier sous astreinte (100 € par jour de retard par exemple).
Seconde solution: Vous séparer de l’entreprise et confier la fin du chantier à une autre (article 1226 du Code Civil).
Comme vous êtes lié à l’entreprise par un contrat, vous ne pouvez pas confier le marché à une autre société sans avoir au préalable prononcé la résolution du contrat, avec un motif valable. Vous devrez lui adresser, dans un premier temps, une mise en demeure. Attention, si la reprise du chantier nécessite de démolir une partie des ouvrages de l’entreprise, il faudra au préalable obtenir une autorisation du Juge.
Dans tous les cas, vous pourrez saisir le Tribunal afin de solliciter le versement de dommages et intérêts pour tous les préjudices consécutifs à cet abandon de chantier (article 1231-1 du Code Civil).
Ces préjudices sont les suivants :
des surcoûts car certaines entreprise souhaitent reprendre à zéro le travail accompli (les électriciens souhaitent souvent refaire l’intégralité des prestations pour ne prendre aucun risque),
des pertes de loyers,
des frais financiers liés à l’allongement de l’emprunt souscrit auprès de la banque,
Dans les deux décisions de justice présentées ci-dessous, les maîtres d’ouvrage ont obtenu gain de cause face à une entreprise qui avait abandonné leur chantier sans motif valable.
PLUS PRECISEMMENT..
Arrêt de la Cour d’Appel de RENNES du 18 octobre 2018:
Au début de l’année 2016, M. F, artisan, a été contacté par Mme X, pour effectuer des travaux d’aménagement de son gîte situé à Kernevel. Il a établi plusieurs devis entre le 21 et le 24 mars 2016, d’un montant total de 18.818,92 €, pour des travaux de plomberie, électricité, chauffage. M.F a commencé les travaux et les a facturés au fur et à mesure entre le 29 mars et le 6 juin 2016 pour un montant total de 18.853,32 €.
Les factures ont été intégralement réglées par Mme X. Monsieur F n’est plus intervenu sur le chantier après juillet 2016, à l’exception de 3 heures le 4 octobre 2016. Les relations entre les parties se sont dégradées et le chantier n’a pas été achevé en dépit de mises en demeure de Mme X.Mme X a engagé une procédure contre M.Z . M. Z a admis avoir été payé pour la totalité des travaux, que le chantier n’est pas terminé et qu’il ne retournera pas sur le chantier pour l’achever compte tenu de la dégradation de ses relations avec Mme X.
Par arrêt rendu le 18 octobre 2018, la Cour d’Appel de Rennes a condamné M. Z à payer 6.000 € à Mme X, cette somme correspondant au devis de la nouvelle entreprise choisie pour achever le chantier abandonné.
Cour d’appel de Rennes, 4ème chambre, 18 octobre 2018, n° 17/05131
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE du 16 avril 2015 :
Monsieur X, propriétaire d’un appartement situé au deuxième étage d’un immeuble situé […] à Marseille 07, a confié les travaux de réaménagement de son immeuble à l’EURL Y. Les travaux ont débuté en janvier 2009 et deux factures ont été éditées, l’une le 8 juillet 2009 d’un montant de 4.749,61 euros TTC au titre de l’acquisition et de la pose d’un système de climatisation, l’autre le 3 août 2009 d’un montant de 46.272,51 euros TTC au titre des travaux de réaménagement confiés.
Monsieur X a effectué plusieurs règlements à hauteur de 38.616,61 € L’entreprise a abandonné le chantier en novembre 2009. Se plaignant de l’abandon du chantier en novembre 2009, de désordres importants et de non-façons, Monsieur X a engagé une procédure à l’encontre de la Société Y. Par Jugement rendu le 16 avril 2015, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a condamné la sté Y à verser à M.X une somme totale de 66.516, 61 € :
30.516,61 € au titre de la restitution de sommes qui n’auraient pas dû être réglées car le coût réel des travaux réalisés au jour de l’abandon était de 8.100 €,
3.000 € du fait des désagréments liés à l’abandon de chantier
3.000 € pour les surcoûts de reprise des travaux par une autre entreprise,
29.000 € au titre de pertes de loyers.
2.000 € pour le paiement des frais d’avocat.
Tribunal de grande instance de Marseille, 3e chambre civile, 16 Avril 2015, n° 14/00287
A RETENIR :
Attention, il est inutile de faire appel à l’assurance décennale de l’entreprise de BTP car sa garantie ne couvre que les vices de construction apparus après achèvement / réception du chantier, ce qui exclut l’achèvement du chantier et les malfaçons constatées à l’abandon du chantier. Il est dont important de vérifier la santé financière de l’entreprise de BTP à laquelle vous allez confier votre chantier, en consultant les informations données par le site INFOGREFFE.
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Avocat au Barreau de BORDEAUX
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Sylvie MARCILLY est avocate depuis 15 ans, passionnée d’immobilier et investisseuse.
Diplômée des Universités de La Sorbonne et Versailles, elle s’est spécialisée en Droit de la Construction au fil de ses collaborations auprès des meilleurs avocats parisiens avant de créer sa structure au Barreau de Bordeaux.